3 questions à … Marc Dufumier
Le 20/05/2020
Partenaire de la Quinzaine du commerce équitable qui a lieu jusqu’au 24 mai prochain, Biocoop s’engage sur cette thématique économique primordiale. Marc Dufumier, expert auprès de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et actuel président de la Quinzaine du commerce équitable en analyse les tenants et les aboutissants à l’heure du déconfinement.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la mondialisation des économies, notamment leur forte délocalisation à l’étranger ?
La crise liée au COVID-19 nous invite à analyser la mondialisation et le bien-être du plus grand nombre sous l’angle de la sécurité alimentaire. Comment assurer les stocks pour que chacun sur cette planète puisse s’approvisionner en quantité et en qualité suffisante avec une sécurité sanitaire avérée ?
En France, il n’y a pas eu de véritable rupture dans les chaînes alimentaires, même si les supermarchés ont été pris d’assaut dans les premiers temps de la crise. Certes, le secteur de la logistique a pâti de la fermeture des frontières et les importations de denrées ont été, dans une certaine mesure, limitées. Mais est-ce grave, si nous n’avons pas de fraises d’Espagne pendant le confinement ou que les magasins ne sont pas achalandés en oranges importées en août prochain ? La crise a aussi imposé la pertinence d’une alimentation de saison.
À l’échelle internationale, la crise a éclaté à un moment-clé : les stocks mondiaux de céréales avaient été reconstitués, empêchant ainsi toute spéculation à la hausse sur les marchés à terme. Ce phénomène, craint par certains États, aurait pu être dramatique, alors que des greniers mondiaux de céréales limitaient leurs exportations. C’était notamment le cas du Vietnam avec le riz et de l’Ukraine avec le blé. En voulant assurer leur subsistance, ces pays n’ont pourtant pas provoqué de pénurie.
Les pays du Sud, surtout ceux qui sont en déficit économique, n’ont-ils pas intérêt à s’assurer une plus grande souveraineté alimentaire pour maintenir une sécurité alimentaire optimale ?
Quels nouveaux rapports instaurer avec les pays du Sud ?
La renégociation des accords internationaux permettrait des rapports Nord-Sud plus harmonieux. En effet, le libre-échange actuel tourne souvent à l’exploitationdes uns par les autres.
Aujourd’hui, pour un même sac de riz sur le marché mondial, vous avez d’un côté une denrée produite par un travailleur de Nord avec une moissonneuse-batteuse et, de l’autre côté, un même item produit dans des conditions bien plus difficiles, avec une céréale repiquée à la main et récoltée avec une faucille. Le paysan du Sud, qui a pourtant travaillé des centaines d’heures en plus que celui du Nord, sera rétribué à un prix moindre, car ne tenant pas compte des conditions de production et du temps de travail imparti.
Chaque peuple a le droit d’assurer sa sécurité alimentaire, au moins pour les produits de première nécessité. Tous les peuples du monde ont le droit de manger des produits de saison, valorisant les proportionnalités productives de leurs terroirs. Plus que jamais, il est primordial de défendre une agriculture en circuit court plus diversifiée. La qualité nutritionnelle d’un produit frais dépend du temps entre le moment de la récolte et le moment de sa consommation.
Pour certains observateurs, la crise liée au COVID-19 montre les limites du système capitaliste. La coopération est-elle une troisième voie pertinente pour le secteur alimentaire et pour l’ensemble de l’économie ?
L’un des travers de l’économie capitaliste réside en un mécanisme simple : faire de l’argent un capital à placer avec un taux d’intérêt pour en dégager une plus-value, alors que la monnaie est supposée être un vecteur d’échange. C’est la spéculation, parfois sur les marchés physiques comme ceux des produits alimentaires, qui est la cause d’une mise en concurrence inégalitaire. Reste qu’un système de planification centralisée de l’agriculture ne fonctionne pas non plus.
Un commerce équitable à l’échelle internationale nécessite de renégocier les accords internationaux, particulièrement avec l’Afrique, pour défendre le droit des paysanneries de vivre dignement, d’être correctement rémunéré et le droit de ces paysanneries de nourrir durablement leur peuple sans dépendre de l’étranger pour des produits stratégiques de consommation. Mais l’opinion occidentale est-elle prête à ce changement décisif ?